Sommaire

 

Ouverture du séminaire. 9

LE MOMENT DE LA RÉSISTANCE.. 16

I Introduction aux commentaires sur les écrits techniques de freud  17

II Premières interventions sur la question de la résistance  47

III La résistance et les défenses. 73

IV Le moi et l'autre. 95

V Introduction et réponse a un exposé de jean hyppolite sur  la verneinung de freud  129

VI Analyse du discours et analyse du moi 154

 

LA TOPIQUE DE L'IMAGINAIRE.. 175

VII La topique de l'imaginaire. 176

VIII Le loup! le loup! 216

IX Sur le narcissisme. 264

X Les deux narcissismes. 291

XI  Idéal du moi et moi-idéal 317

XII Zeitlich - entwickelungsgeschichte. 353

XIII La bascule du désir. 396

XIV Les fluctuations de la libido. 428

XV Le noyau du refoulement 455

 

LES IMPASSES DE MICHAEL BALINT. 486

XVI Premières interventions sur balint 486

XVII Relation d'objet et relation intersubjective. 497

XVIII L'ordre symbolique. 526

 

LA PAROLE DANS LE TRANSFERT. 560

XIX La fonction créatrice de la parole. 561

XX De locutionis significatione. 586

XXI La vérité surgit de la méprise. 624

XXII Le concept de l'analyse. 654

 

OUVERTURE DU SÉMINAIRE

 

 

Le maître interrompt le silence par n'importe quoi, un sarcasme, un coup de pied.

C'est ainsi que procède dans la recherche du sens un maître bouddhiste, selon la technique zen. Il appartient aux élèves eux-mêmes de chercher la réponse à leurs propres questions. Le maître n'enseigne pas ex cathedra une science toute faite, il apporte la réponse quand les élèves sont sur le point de la trouver.

Cet enseignement est un refus de tout système. Il découvre une pensée en mouvement – prête néanmoins au système, car elle présente nécessairement une face dogmatique. La pensée de Freud est la plus perpétuellement ouverte à la révision. C'est une erreur de la réduire à des mots usés. Chaque notion y possède sa vie propre. C'est ce qu'on appelle précisément la dialectique.

Certaines de ces notions furent, à un moment donné, indispensables à Freud parce qu'elles apportaient une réponse à une question qu'il avait formulée par avant, dans d'autres termes. On n'en saisit donc la valeur qu'à les re-situer dans leur contexte.

Mais il ne suffit pas de faire de l'histoire, de l'histoire de la pensée, et de dire que Freud est apparu en un siècle scientiste. Avec La Science des rêves, en effet, quelque chose d'une essence différente, d'une densité psychologique concrète, est réintroduit, à savoir, le sens.

Du point de vue scientiste, Freud parut rejoindre alors la pensée la plus archaïque – lire quelque chose dans les rêves. Il revint ensuite à l'explication causale. Mais quand on interprète un rêve, on est toujours en plein dans le sens. Ce qui est en question, c'est la subjectivité du sujet, dans ses désirs, son rapport à son milieu, aux autres, à la vie même.

Notre tâche, ici, est de réintroduire le registre du sens, registre qu'il faut lui-même réintégrer à son niveau propre.

Brucke, Ludwig, Helmholtz, Du Bois-Reymond, avaient constitué une sorte de foi jurée – tout se ramène à des forces physiques, celles de l'attraction et de la répulsion. Quand on se donne ces prémisses, il n'y a aucune raison d'en sortir. Si Freud en est sorti, c'est qu'il s'en est donné d'autres. Il a osé attacher de l'importance à ce qui lui arrivait à lui, aux antinomies de son enfance, à ses troubles névrotiques, à ses rêves. C'est par là que Freud est pour nous tous un homme placé comme chacun au milieu de toutes les contingences – la mort, la femme, le père.

Cela constitue un retour aux sources, et mérite à peine le titre de science. Il en va de la psychanalyse comme de l'art du bon cuisinier qui sait bien découper l'animal, détacher l'articulation avec la moindre résistance. On sait qu'il y a, pour chaque structure, un mode de conceptualisation qui lui est propre. Mais comme on entre par là dans la voie des complications, on préfère s'en tenir à la notion moniste d'une déduction du monde. Ainsi, on s'égare.

Il faut bien s'apercevoir que ce n'est pas avec le couteau que nous disséquons, mais avec des concepts. Les concepts ont leur ordre de réalité original. Ils ne surgissent pas de l'expérience humaine – sinon ils seraient bien faits. Les premières dénominations surgissent des mots mêmes, ce sont des instruments pour délinéer les choses. Toute science donc reste longtemps dans la nuit, empêtrée dans le langage.

Il y a d'abord un langage tout formé, dont nous nous servons comme d'un très mauvais instrument. De temps en temps s'effectuent des renversements – du phlogistique à l'oxygène par exemple. Car Lavoisier, en même temps que son phlogistique, apporte le bon concept, l'oxygène. La racine de la difficulté, c'est qu'on ne peut introduire des symboles, mathématiques ou autres, qu'avec du langage courant, puisqu'il faut bien expliquer ce qu'on va en faire. On est alors à un certain niveau de l'échange humain, au niveau du thérapeute en l'occasion. Freud y est aussi, malgré sa dénégation. Mais, comme Jones l'a montré, il s'est imposé dès ses débuts l'ascèse de ne pas s'épancher dans le domaine spéculatif, où sa nature le portait. Il s'est soumis à la discipline des faits, du laboratoire. Il s'est éloigné du mauvais langage.

Considérons maintenant la notion du sujet. Quand on l'introduit, on s'introduit soi-même. L'homme qui vous parle est un homme comme les autres – il se sert du mauvais langage. Soi-même est donc en cause.

Ainsi, dès l'origine, Freud sait qu'il ne fera de progrès dans l'analyse des névroses que s'il s'analyse.

L'importance croissante attribuée aujourd'hui au contre-transfert signifie qu'on reconnaît ce fait que, dans l'analyse il n'y a pas seulement le patient. On est deux – et pas que deux.

Phénoménologiquement, la situation analytique est une structure, c'est-à-dire que par elle seulement certains phénomènes sont isolables, séparables. C'est une autre structure, celle de la subjectivité, qui donne aux hommes cette idée qu'ils sont à eux-mêmes compréhensibles.

Être névrosé peut donc servir à devenir bon psychanalyste, et au départ, cela a servi Freud. Comme Monsieur Jourdain avec sa prose, nous faisons du sens, du contresens, du non-sens. Encore fallait-il y trouver des lignes de structure. Jung lui aussi, en s'émerveillant, redécouvre, dans les symboles des rêves et des religions, certains archétypes propres à l'espèce humaine. Cela aussi est une structure – mais autre que la structure analytique.

Freud a introduit le déterminisme propre à cette structure. De là l'ambiguïté que l'on retrouve partout dans son oeuvre. Par exemple, le rêve est-il désir ou reconnaissance du désir ? Ou encore, l'ego est d'une part comme un oeuf vide, différencié à sa surface par le contact du monde de la perception, mais il est aussi, chaque fois que nous le rencontrons, celui qui dit non ou moi, je, qui dit on, qui parle des autres, qui s'exprime dans différents registres.

Nous allons suivre les techniques d'un art du dialogue. Comme le bon cuisinier, nous avons à savoir quels joints, quelles résistances, nous rencontrons.

Le super-ego est une loi dépourvue de sens, mais qui pourtant ne se supporte que du langage. Si je dis tu prendras à droite, c'est pour permettre à l'autre d'accorder son langage au mien. Je pense à ce qui se passe dans sa tête au moment où je lui parle. Cet effort pour trouver un accord constitue la communication propre au langage. Ce tu est tellement fondamental qu'il intervient avant la conscience. La censure, par exemple, qui est intentionnelle, joue pourtant avant la conscience, elle fonctionne avec vigilance. Tu n'est pas un signal, mais une référence à l'autre, il est ordre et amour.

De même, l'idéal du moi est un organisme de défense perpétué par le moi pour prolonger la satisfaction du sujet. Mais il est aussi la fonction la plus déprimante, au sens psychiatrique du terme.

L'id n'est pas réductible à un pur donné objectif, aux pulsions du sujet. Jamais une analyse n'a abouti à déterminer tel taux d'agressivité ou d'érotisme. Le point à quoi conduit le progrès de l'analyse, le point extrême de la dialectique de la reconnaissance existentielle, c'est – Tu es ceci. Cet idéal n'est en fait jamais atteint.

L'idéal de l'analyse n'est pas la maîtrise de soi complète, l'absence de passion. C'est de rendre le sujet capable de soutenir le dialogue analytique, de parler ni trop tôt, ni trop tard. C'est à cela que vise une analyse didactique.

L'introduction d'un ordre de déterminations dans l'existence humaine, dans le domaine du sens, s'appelle la raison. La découverte de Freud, c'est la redécouverte, sur un terrain en friche, de la raison.

 

18 NOVEMBRE 1953.

 

La suite de cette leçon manque, ainsi que toutes les leçons de la fin de l'année 1953.